Entretiens du Nouveau Monde Industriel 2016 : Penser l’exosomatisation

3, novembre 2016  |  Publié : Events, Séminaires  | 

Penser l’exosomatisation pour défendre la société

13-14 décembre 2016, Grande salle du Centre Pompidou

 

Partenaires : CNRS-MSH Paris Nord,

Strate école de design, Orange, Dassault Systèmes, Plaine Commune, UTC

Partenaires média : Médiapart, France Culture

Basée sur la data economy, la médecine dite « 3.0 » en est à ses premières avancées, et déjà des groupes pharmaceutiques tissent des alliances avec Google pour le développement de traitements bioélectroniques (GlaxoSmithKline) ou d’objets communicants (Sanofi), cependant que Generali repense le modèle assurantiel dans ce nouveau contexte. Or ce secteur en pleine évolution, évidemment porteur d’espoirs, est aussi la base de développement du discours transhumaniste – ce dont il s’agira ici d’appréhender les véritables enjeux.

Depuis 1993, avec l’avènement du world wide web, la connectivité généralisée a provoqué dans ce que l’on appelle désormais l’Anthropocène sa période actuelle qui est dite aussi « disruptive » : une série de transformations majeures s’est enclenchée, telle une « réaction en chaîne » au sens qu’à cette expression en physique nucléaire. Dans ce contexte, tel qu’il se combine avec l’avènement des biotechnologies, et plus généralement avec ce que Jean-Pierre Dupuy a appelé les « technologies transformationnelles », il est devenu courant de parler de « rupture anthropologique » – c’est à dire d’une bifurcation majeure dans le destin de l’humanité.

C’est aussi dans ce contexte que l’idéologie transhumaniste s’est récemment imposée dans le débat public – largement promue par l’université de la Singularité avec les soutiens de l’entreprise Google (devenue Alphabet) et de la Nasa. Il s’agit cependant d’idéologie : ce discours est profondément irrationnel.

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À travers les Entretiens du nouveau monde industriel de cette année 2016, il s’agira de considérer l’ensemble de ces questions du point de vue de ce qu’Alfred Lotka et à sa suite Nicholas Georgescu Rœgen (tous deux mathématiciens) ont appelé l’exosomatisation . Ce concept, qui fournit une nouvelle intelligibilité du devenir humain, pourrait aussi contribuer à la formation d’un nouvel âge de la raison – face à la déraison transhumaniste.

L’exosomatisation est le processus par lequel il y a plusieurs millions d’années, la vie, dont l’évolution consiste en une morphogenèse d’organes toujours plus complexes et différenciés, également appelée organogenèse, a engendré ce que l’anthropologue André Leroi-Gourhan décrivit comme un processus d’extériorisation, et Alfred Lotka comme un processus d’exosomatisation – au cours duquel l’organique se dote d’organes inorganiques, poursuivant sa différenciation par d’autres moyens que la vie, c’est à dire à travers des organes qui ne sont donc plus endosomatiques, mais exosomatiques.

Nicholas Georgescu Rœgen a montré que c’est à partir de ce fait majeur, qui est la condition d’apparition de ce que l’on appelle l’humanité, qu’il est possible et indispensable de refonder de nos jours l’économie – comme l’a rappelé récemment Antoine Missemer – : l’exosomatisation est ce qui induit dans l’histoire du vivant un nouveau rapport entre l’augmentation de l’entropie – qui constitue le second principe de la thermodynamique – et le maintien local et temporaire de l’entropie à un niveau bas, qui caractérise le vivant – tel que l’a décrit Erwin Schrödinger dans Qu’est-ce que la vie ? . C’est ainsi à une refondation de l’économie qu’invitent les travaux fondamentaux de Georgescu Rœgen.

La période actuelle de l’exosomatisation se caractérise par une accélération extrême de ce processus constant de sélection de nouveaux organes artificiels en quoi consiste l’histoire de l’humanité, et qui se produit désormais exclusivement selon les critères du marché, ce qui est insoutenable aussi bien d’un point de vue environnemental que d’un point de vue économique, social, somatique, psychique et intellectuel.

Là où l’on nous parle de destin transhumaniste – à travers un discours massivement irrationnel qui promet l’avènement d’une hyper-oligarchie dominant une immense masse de sous-hommes – , la question s’impose de la reconstitution d’une rationalité capable de fournit les critères de sélection requis par le nouvel âge de l’organogenèse exosomatique, dont les technologies transformationnelles sont les résultats, et dont l’évolution ne saurait être prescrite par le marché à lui seul : nous savons combien celui-ci est court-termiste, spéculatif, et en cela ruineux.

Ces questions constituent un enjeu majeur pour le monde en général, et pour l’Europe en particulier. Au moment où Barak Obama discourt sur les investissements fédéraux dans la nouvelle intelligence artificielle qui est à la base de ces évolutions – mais l’intelligence noétique, constitutive de ce que les Grecs anciens appelaient le νοῦς, telle qu’elle procède précisément de l’exosomatisation dès son origine, a toujours été artificielle – , il est temps que l’Europe déploie sa propre stratégie en offrant au monde la vision et le projet d’un avenir soutenable qui s’approprie la transformation en cours en y affirmant et en y cultivant une nouvelle rationalité au moment où tous les secteurs industriels sont affectés par ce devenir, et en particulier celui de la santé.

Sessions et intervenants

 Mardi 13 décembre

 Ouverture

Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou

 10h-13h

Session 1 – Exosomatisation et avenir de la société

L' »augmentation » des organes organiques de l’homme par des organes artificiels – organologiques en cela – est définitoire de l’hominisation dès l’origine. Présenter l’augmentation de l’homme comme une radicale nouveauté est à cet égard une imposture. Il n’en reste pas moins que l’organogenèse exosomatique contemporaine présente des caractères tout à fait inédits.

– Bernard Stiegler, philosophe, Institut de Recherche et d’Innovation

– Dominique Lecourt, philosophe, Institut Diderot

– Jean-Michel Besnier, philosophe, université Paris Sorbonne

– Antoine Missemer, économiste, ENS de Lyon

 

14h30-18h

Session 2 – Exosomatisation, calculabilité et traitement de données

Au-delà de l’extraction corrélationniste de patterns qui caractérise les big data et les data sciences telles que les présente par exemple Chris Anderson, la vie et la santé sont irréductibles à une approche purement et simplement computationnelle. Telle que Georges Canguilhem l’a pensée dans Le normal et le pathologique, la santé, en contexte exosomatique, est toujours l’invention d’un nouvel art de vivre par un être qui « se rend malade » par ses techniques mêmes (l’être humain). Cette invention constitue ce que Canguilhem appelle une normativité qui est foncièrement ancrée dans une modalité spécifique de l’anti-entropie telle que, productrice de « bifurcations », elle échappe précisément à la calculabilité.

– David Berry, digital humanities, Sussex university

– Wendy Chun, informaticienne et media studies, Brown university

– Giuseppe Longo, mathématicien, école normale supérieure de Paris

– Johan Mathé, ingénieur, Bay labs Inc.

 

Mercredi 14 décembre

10h-13h Session 3 – Corps augmenté, intelligence artificielle et société

Fondées sur les technologies de l’information, les nouvelles industries de la santé sont une facette particulièrement sensible de ce que l’on doit appréhender comme un nouvel âge de l’intelligence artificielle que rend possible l’informatique réticulaire. Il importe cependant ici de revenir à la fois sur les réflexions de Bergson sur le vivant au début du XXe siècle, sur les références qu’y fait Georgesu Rœgen dans ses considérations sur l’exosomatisation et l’entropie, sur les conceptions et les questions des premiers penseurs de l’intelligence artificielle fondée sur les agencements homme-machine computationnelle, et sur les limites, apories et perspectives de la théorie de l’entropie dans le champ de l’humain – au moment où l’ »extropianisme », qui est l’une des sources de la pensée transhumaniste, prétend « dépasser l’entropie », au moment où les neurotechnologies « endosomatisent » les artifices exosomatiques en réaménageant le cerveau.

– Hélène Mialet, anthropologue, Toronto university

– Pieter Lemmens, philosophe, Radboud university

– Dominique Bourg, philosophe, université de Lausanne

– David Bates, historien des sciences, université de Berkeley

 

14h30-18h – Session 4 – Technologies du vivant, médecine 3.0 et transhumanisme

La médecine 3.0 est aujourd’hui un des premiers marchés de développement des services médicaux en ligne basés sur des objets communicants, sur lesquels se greffe le marketing transhumaniste des fantasmes en tout genre – cependant que le vivant et l’artificiel computationnel s’agencent de façons inédites à travers le quantified-self et la recherche de nouvelles formes de techniques de soi et de soin, souvent dans des contextes communautaires inédits et prometteurs. Qu’en est-il cependant des limites – du vivant, de la technique, de l’économie, de la terre, etc. ? Et quelles politiques de recherche et de développement industriel originales la France et le continent européen peuvent-elles promouvoir ?

– Dorothée Benoit Browaeys, journaliste scientifique, UP Magazine

– Jean-François Toussaint, médecin, physiologiste, Insep

– Gerald Moore, Durham university

– Paolo Vignola, Yachai university

 

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