L’écosystème muséal : espaces transitionnels des savoirs

21, juillet 2016  |  Publié : Events  | 

Édition 2016-2017

L’écosystème muséal : espaces transitionnels des savoirs 

Par delà son rôle de « pourvoyeur » d’expérience esthétique, nous soutenons que le musée a plus fondamentalement pour fonction de susciter et d’entretenir des régimes d’attention et des passions pour des objets et des activités ressortant des dynamiques de participations culturelles et artistiques. En tant qu’institution, le musée est un organe politique contribuant à la pérennisation des circuits de valorisations et d’interprétations socio-culturels, pérennisation qui passe non seulement par l’exposition et la patrimonialisation, mais encore nécessairement par la création et le maintien de processus psycho-sociaux de sublimation et d’individuation de significations collectives.

Depuis plus d’une trentaine d’années, parmi les nombreux facteurs avec lesquels le musée doit composer, deux phénomènes questionnent et transforment en profondeur le visage de l’institution muséale :

D’un côté, le bourgeonnement des CCSTI, nouvelles institutions culturelles tournées vers l’interactivité et la participation pratique des visiteurs – devenus visiteurs-acteurs –, a progressivement questionné le musée classique, organisé principalement autour de la patrimonialisation, de l’exposition et de la contemplation des œuvres. Des fab-labs aux ateliers en tout genre, les CCSTI ont insufflé de nouvelles formes d’adresse au public et donné naissance à autant de nouveaux espaces d’individuation psycho-sociale. Dans le même temps les institutions culturelles ont connu un large processus d’hybridation, duquel sont notamment apparues des formes intermédiaires entre musée et CCSTI, à l’instar du rapprochement du Palais de la découverte et de la Cité des sciences et de l’industrie dans l’établissement d’Universcience en 2009.

D’autre part, tout en catalysant ce tournant vers l’action et la participation, l’essor du web et des technologies numériques en général ont fait émerger une économie de la contribution dont les structures de fonctionnement relativement déhiérarchisés et plus distribuées questionnent désormais le modèle historiquement vertical et descendant des institutions en général, et notamment des musées. Dans ce cadre, la muséologie semble aujourd’hui être interrogée tant au niveau des fonctions du musée que de son organisation, et devoir intégrer à ses réflexions des éléments provenant de champs disciplinaires transverses et d’institutions culturelles variées, qui débordent de plus en plus le cadre du musée traditionnel.

Dans ces conditions, nous proposons dans ce séminaire une conception prospective du musée de demain, reposant sur la pleine assomption du rôle politique du musée comme moteur de propositions socio-culturelles et économiques nouvelles. Selon cette perspective, le musée est à concevoir comme un écosystème de relations, à la fois comme un lieu de la contemplation, de l’imagination et de l’action, comme une ruche de savoirs et d’innovation et comme un carrefour de corps de métiers se rencontrant dans des projets socio-économiques et culturels partagés. L’idée est de concevoir le musée comme une force de proposition afin d’infléchir dans le sens d’une muséologie tournée vers l’expérimentation socio-politique et culturelle. Dans ce sens, le musée serait en quelque sorte un laboratoire esthétique et politique, un espace d’apprentissage théorique et pratique, et constituerait un creuset pour l’émergence et la réalisation de projets et d’entreprises communes.

Pour soutenir cette conception du musée, nous nous appuierons sur la notion d’espace transitionnel qui renverra conjointement aux espaces muséaux dans leurs dimensions physiques et transitoires (scénographie, architecture, organisation, etc.) et à l’importance capitale que jouent ces espaces sur l’affectivité individuelle et les dynamiques de participation qui y ont lieu (jeux de contemplation, d’imagination, action individuelles et collectives). Au travers de cette notion charnière, il s’agira d’envisager les critères et les conditions nécessaires à la constitution de zones d’expériences partagées, en vue d’imaginer différentes configurations possibles pour créer les écosystèmes muséaux, entendus comme espaces transitionnels de la mémoire et des savoirs (savoir-faire, savoirs théoriques et pratiques).

Structure du séminaire

  • 2 séances d’introduction générale sur la conception du musée comme écosystème, sur la notion d’espace transitionnel et sur le cadre socio-économique global dans lequel s’inscrit le musée aujourd’hui
  • 4 séances d’explorations théoriques et pratiques des dynamiques déjà existantes qui pourraient illustrer nos propositions et constituer des points de départs possibles à leur réalisation
  • 2 séances d’ouverture sur des propositions architecturales et conceptuelles pour étendre le champ d’action et de pensée sur le musée vers de nouveaux horizons

Programme des séances

Séance 1 :   L’écosystème muséal (Bernard Stiegler et François Mairesse)
Mardi 29 novembre 2016, de 18h à 20h30

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Le but de cette séance inaugurale est de définir sur quelle conception du musée s’appuiera ce séminaire et d’envisager le contexte socio-économique général dans lequel le musée doit manœuvrer aujourd’hui. Davantage qu’un lieu d’exposition et de patrimonialisation, nous pensons que le musée est un moteur de dynamiques d’intérêt, à la fois faiseur d’histoire et instigateur de circuits de valorisation et de sublimation. Par ce changement du regard porté sur le musée, il s’agit de souligner sa dimension proprement politique. Dans ce cadre et dans la continuité du mouvement amorcé par les éco-musées, les fab-labs et les CCSTI, l’institution muséale pourrait constituer une ruche de savoirs et d’innovations socio-économiques et culturelles produisant des pas-de-côté, des bifurcations par rapport au modèle économique consumériste contemporain. Face au conditionnement esthétique général opéré par le marketing et l’industrie médiatique, le musée pourrait en effet s’ériger comme un écosystème culturel et professionnel, producteur de savoirs (savoir-faire, savoirs vivre et savoirs théoriques) et de contre-tendances socio-économiques pour les sociétés d’aujourd’hui et de demain.

Séance 2 :   Muséologie et espaces transitionnels (Chris Younès et Victor Drouin-Leclerc)
Mardi 6 décembre 2016, de 17h30 à 20h

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Cette deuxième séance aura pour but de définir la notion d’espace transitionnel et d’envisager sa portée heuristique et pratique relativement à la conception politique du musée que nous aurons développé. L’espace transitionnel renvoie à la fois à un espace physique transitoire (l’entrée du musée, les points de passages d’une exposition à une autres, la bibliothèque, etc.) et à la fois aux espaces d’individuation somato-psychiques qu’offrent ces lieux (participation à des représentations socio-culturelles, émotions et passions ouvertes dans la relation aux œuvres, etc.).Cette double perspective permettra de penser les conditions organologiques (somatopsychiques, artefactuelles et psycho-sociales) propices à l’émergence de régimes d’attention bénéfiques pour les visiteurs-acteurs.

Séance 3:   Les espaces transitionnels de l’économie de la contribution au musée (Laurent Chicoineau et Dominique Botbol)
Mardi 17 janvier 2017, de 17h30 à 20h

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Dans cette troisième séance il s’agira d’envisager les pratiques de contribution au musée ainsi que dans les CCSTI, à l’aune d’une conception transitionnelle afin de mettre en exergue les processus de valorisation et de création que peuvent instituer ces espaces lorsqu’ils sont tournés vers l’expérimentation et l’interaction. L’organisation protéiforme de dynamiques de contribution au sein de l’organisation muséale propose en effet une voie alternative à l’idée du musée entendu comme espace de sacralisation d’une attitude contemplative, et met en exergue la grande richesse de possibilités de constructions de projets et d’activités en interne.

Diaporama de Laurent Chicoineau

Diaporama de Dominique Botbol

Séance 4 :   Le musée comme écosystème professionnel et culturel (Patrick Bouchain et Alain Bonneau)
Mardi 21 février 2017, de 17h30 à 20h

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Comment faire du musée un milieu de rencontre et d’échange entre des constellations professionnelles et culturelles variées ? Quels types d’agencements architecturaux et scénographiques peuvent permettre de couver les initiatives individuelles et collectives dans le champ artistique ? Quels genres de dispositifs et de projets offrent l’occasion de réalisations transversales aux institutions culturelles ? Cette séance sera l’occasion d’ouvrir ces questions et d’y apporter des éléments de réponse. Des projets ouverts à l’inattendu aux partenariats des grands chantiers culturels, l’enjeu est de faire émerger un milieu de synergie clef pour la rencontre entre des corps de métier et des disciplines variés ; un espace de dialogue et de projets partagés entre les univers de l’académie, de l’art, de l’entrepreneuriat et de l’artisanat. Nous soutiendrons dans cette quatrième séance que les conditions matérielles et organisationnelles ne sont pas seulement l’architecture ou l’infrastructure d’un lieu, mais encore le milieu des dynamiques de participation qui y ont court.

Cartographies (Alain Bonneau): Modes contributifs – Projet Arts & Sciences – Thème Arts & Sciences

Séance 5 :   Espace transitionnel et soulagement de l’attention (Sophie Lapalu et Victor Drouin-Leclerc)
Jeudi 23 mars 2017, de 18h à 20h

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Que la vocation d’un musée soit tournée davantage vers l’exposition d’œuvres ou la participation individuelle et collective à des processus de contribution et de création, la dimension architecturale et ornementale du musée est capitale pour favoriser des régimes d’attention spécifiques. Face à l’accélération croissante des modes de vies des sociétés hyper-industrielles et la sollicitation ultra-intensive de l’attention dans nos environnements hautement technologiques, il semble en effet nécessaire d’envisager un design des espaces qui offre les conditions d’une recollection des ressources somato-psychiques individuelles, c’est-à-dire, également, d’un soulagement attentionnel. Dans ce sens, nous souhaitons explorer les possibilités d’organisation de l’espace muséal qui permettraient d’instituer le musée comme une enclave esthétique et temporelle, favorable à l’individuation de régimes d’attention maintenus dans le temps.

Séance 6 :   Techniques de soi, rites et imagination (Roberte Hamayon et Alice Lenay)
Mardi 25 avril 2017,de 17h30 à 20h

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La sixième séance prend pour point de départ la notion d’enclave pragmatique apportée par Jean-Marie Schaeffer. Dans L’expérience esthétique (2015) l’auteur argumente que le basculement de l’attention en régime esthétique nécessite à la fois une enclave pragmatique et la dépragmatisation de la relation attentionnelle: c’est-à-dire d’une part un espace de confinement/isolement permettant un lâcher-prise et d’autre part une déprise des automatismes attentionnels habituels. L’idée est donc dans la séance d’explorer les deux facettes de cette mise en condition/préparation: d’un côté les techniques de soi et de l’autre le cadre contextuel socialement/matériellement organisé par les rites et rituels pour préparer une certaine modalité de participation esthétique. Ce sont donc ces préliminaires, que l’on retrouve par exemple dans le cérémonial du thé au Japon, et qui constituent ainsi ce que l’on pourrait nommer des techniques de conditionnement somatopsychiques, qu’il s’agira d’aborder dans cette séance.

Diaporama de Roberte Hamayon

Séance 7 :   Musées et jardins (Hélène Meisel et Gilles Clément)
Mardi 16 mai 2017, de 17h30 à 20h

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Malgré des différences marquées, musées et jardins entretiennent des liens étroits. Ces deux lieux sont ceux que le promeneur et le visiteur peuvent idéalement arpenter à leur propre rythme, espaces d’une temporalité différenciée du negotium quotidien, constituant des alcôves esthétiques et sensorielles qui ménagent les conditions d’une attention propice à la contemplation et, parfois, à la méditation. Deux lieux de savoir et de plaisir dont les éléments reflètent, de par leur histoires, différentes conceptions du monde. En effet, le jardin comme l’exposition sont des microcosmes qui renvoient à des cosmologies, à des univers symboliques, sensoriels et poétiques, qui servent de guides pour un certain usage du monde. Dans cette séance, au travers d’un questionnement avec Gilles Clément, jardiniste, et Hélène Meisel, Commissaire de l’exposition Jardin Infini (Centre-Pompidou Metz), il s’agira d’approcher les jardins à la lumière de la pratique et de la théorie du jardiniste autant que du point de vue de la muséographie et de la muséologie.

Séance 8 :   Nouveaux laboratoires artistiques et socio-culturels (Giulia Pagnetti et Jules Desgoutte)
Mardi 13 juin 2017, de 17h30 à 20h

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L’enjeu des notions d’espace transitionnel et d’écosystème muséal aura été de mener une réflexion sur les zones d’expérience partagée propices à l’émergence et à la réalisation des rêves individuels et collectifs. Dans une époque où le désenchantement semble être imposé par la rationalisation économique de toute chose, les institutions culturelles portent encore des idéaux mus par des intérêts qui ne se résument pas simplement en termes de retombées monétaires. Au delà des musées, il s’agira dans cette dernière séance de donner à voir ces nouveaux espaces d’exposition et de production artistiques qui n’ont cessé d’émerger ces dernières années de manière alternative. Catalysés par l’urbanisme transitoire, les espace-projets artistiques, micro-laboratoires et lieux de partages de moyen se sont développés comme autant de terrains d’expérimentations sociales impliquant les populations du territoire dans un renouveau des relations locales.

Sous la direction de : Victor Drouin-Leclerc
victor.drouin@iri.centrepompidou.fr
Inscriptions : entrée libre ; contact@iri.centrepompidou.fr ou 01 83 87 63 25
Horaires et lieu : Sauf mention contraire, le mardi de 17h30 à 20h00 dans la salle Triangle (ancienne salle Piazza) devant le Centre Pompidou, à droite du mobile de Calder

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